Le peuplier
“Je n’existe que pour mieux m’extasier devant tout ce que j’invente : quand je vois un peuplier, c’est moi qui le fais, à l’instant même.”
À croire que Léo Ferré avait écrit cela pour ce lieu. Devant cette ancienne usine de bois, rue des Peupliers, c’est comme s’il avait été avec moi. Et il ressentait, comme moi, ce frisson de la page blanche, l’exaltation d’un projet inédit.
C’était un plateau de 180 mètres carrés. Sur deux niveaux. Pas de sol, pas de murs, des planches et des copeaux de bois disposés sans logique dans un patio. Des fenêtres et des poutres au plafond. C’était tout, mais ça avait suffi à me faire voyager. Je me suis retrouvée à Marrakech, d’où je revenais de vacances. Des cactus, des bananiers, des couleurs chaudes, des matériaux bruts, et ce patio qui était désormais devenu Riad dans ma tête.
Un espace modulable
Je relevais le défi sans avoir même hésité. J’avais un cahier des charges : une grande pièce avec une cuisine ouverte, d’abord. Comment imaginer ce lieu autrement que convivial, cette usine appelait à être vivante, et j’entendais, avant même d’avoir dessiné les plans, les verres tintés et les rires s’envoler depuis une terrasse que j’inventerais. La disposition était en L, autour de cet espace extérieur. Et si la petite queue du L, était modulable ? Tantôt salle de séjour, tantôt chambre d’amis, pouvant être séparée du reste par une immense verrière. Jouer la carte de la transparence, de l’espace, des volumes, mais pouvoir cloisonner si nécessaire. C’était décidé. Et pour plus de confort, j’y dessinais une salle de douche attenante.
Dans ces 180 m2, il fallait trois chambres. Une pour les parents, une suite. Qui donnerait sur le patio. Et si je construisais une mini piscine, en béton brut, sans liner pour que l’eau ait simplement la couleur du ciel, ils se réveilleraient chaque matin avec l’impression d’être ailleurs. Leur chambre se prolongerait par une salle de bain, avec une baignoire. Pas une baignoire encastrée, non, une baignoire qui serait à elle-même un élément de décoration. Avec un grand dressing, des penderies, des tiroirs, du rangement. Chaque chose serait à sa place.
Un appel au voyage
Ils avaient deux enfants. Un garçon et une fille, le choix du Roi. Ils étaient petits, encore, mais je les imaginais plus grands. Et si comme les parents, j’installais un point d’eau dans chaque chambre ? Initialement nurserie, comme dans les maternités, puis un jour une douche. Pour le petit garçon, j’imaginais la jungle de laquelle il serait le Prince. Pour la petite fille, des nuages, des couleurs pastel, des matières légères, un univers aérien. C’était une petite fille née un soir de feu d’artifice, tout le monde avait regardé le ciel pour sa naissance. Tout était là, dans ma tête.
Et pour les deux, une salle de jeux. Pas une pièce à part, un espace, sous l’escalier, leur coin secret, une cabane cachée, dissimulée par des tasseaux de bois, rappelant l’origine des lieux, et toujours tournée vers ce patio, où je voyais désormais des carreaux de ciment, des fauteuils, des coussins berbères, et un coin repas pour les tièdes soirées d’été.
L’agencement n’était pas simple, toutes les ouvertures tournaient autour de ce L, en un seul pan. J’ai toujours aimé les dispositions en L et le défi qu’elles apportaient. Alors, c’était facile ? Non, dans mon esprit, les idées et les inspirations fusaient, mais il allait falloir tout mettre sur plan, et le réaliser…